Ma belle mère... ça fait déjà plus de dix ans qu'on se pratique, et je ne m'habitue pas. Je crois toujours que ça va s'arranger, mais non. On est en mode statu quo, je ne la trouve pas si terrible, mais je pense qu'elle voudrait que je m'intègre à leur famille, alors que je ne le veux pas, je freine des quatre fers, tant je les ressens comme totalement différent de moi. Au final, cette distance intérieure entre eux et moi, ça me pèse, car je suis d'une nature ouverte et sympa, et à elle aussi, car elle voudrait que nous fassions, enfin que sa famille fasse un tout, un bloc.
Mais me direz-vous, si ça me pèse, et à elle, pourquoi est-ce que je ne cède pas ? Car c'est moi qui ne cède pas, entre autre.
Difficile à expliquer : elle veut m'intégrer, je le sens, mais ça impliquerait ma dissolution. Ma belle-mère aime (comme ma mère) partager ses goûts. Si nous étions plus véritablement proches, elle m'offrirait des nappes, des assiettes, dans le souci de me rendre heureuse, de me faire profiter des promotions dont elle bénéficie, et pour me faire des cadeaux et je crois, se sentir comme "donatrice", "bienfaitrice". Sauf que je déteste ses goûts. Comme je ne me vois pas le lui affirmer de but en blanc, et encore moins lui parler de ce que j'aime bien chez elle (j'ai trop peur qu'elle m'offre un truc semblable, et même si j'aime bien un bibelot, je ne souhaite pas forcément l'avoir), je ruse. Il y a une dizaine d'années, nous avons acheté des meubles (après nombres d'années dans des meublés) et elle a été sidérée (ça lui a fait du bien, notez) en débarquant dans notre nouvel appart de l'époque, de r éaliser qu'on avait tout décoré, meublé, sans en dire un mot à personne. Elle se serait vexé si mon mari n'avait pas recadré les choses en lui disant "ben, on a acheté les meubles quoi, on a pris le moins cher, c'est tout". Comprenez moi bien : si elle avait pensé que nous avions peaufiné, travaillé, pensé la déco, elle aurait été vexée que nous l'ayons fait sans partager avec elle notre souci. Elle n'a admis notre ameublement qu'après avoir constaté que, aussi incroyable que cela paraisse, nous avions acheté plus ou moins n'importe quoi. Du n'importe quoi pas si mal ; mais pas une table ou un rideau "pensé".
Si nous avions de bons rapports, elle s'attendrait à ce que je lui raconte pas mal de mes petits soucis. Est-ce que je vais racheter des serviettes de tables grises ou oranges? Or, parler avec ma belle mère de serviette de table ne me vient même pas à l'idée. Du coup, ça laisse une distance entre nous. C'est mécanique (ça n'est pas que je me retienne de aprler de serviettes de tables) mais finalement c'est utile. Je reste l'étrangère, on la connait mais ses motivations restent mystérieuses.
Du coup, on est en quelques sortes polies, mais sans plus. Sans compter qu'après une longue période où j'étais sensible à ses humeurs, ses tentatives de culpabilisation, je suis devenue une vraie bûche : bien que j'essaie de tout le temps sourire chez elle, je manque souvent d'entrain (je m'ennuie) sauf que je me concentre (je fais un effort parfois pour avoir l'air de ne pas m'emmerder), mais je suis hermétique à ses regards, humeurs, petites phrases. Mieux, quand elle me fait une petite phrase, j'essaie de la détourner. Ma belle mère adore les allusions. Or, j'y suis peu sensible : je ne les comprends pas très bien : donc, quand elle fait une petite phrase de ce genre, au lieu, comme avant, de réfléchir pour tenter de décoder, comprendre l'allusion puis culpabiliser, je prends sa phrase au pied de la lettre et me lance dans des commentaires enthousiastes. ça doit être tellement décourageant qu'elle a beaucoup diminué ses petites phrases.
Elle ne m'interroge plus sur ma famille, comme elle le faisait avant. Je ne sais pas si elle le fait pour me vexer, ou si c'est du au vide de mes réponses : je réponds toujours que ça va, d'un air enthousiaste (alors qu'avant, je ralais sur eux, très sincèrement : maintenant, plus une plainte, plus une critique : ils vont tous bien, toujours).
Donc je viens chez elle, je fais de la présence, j'attends que ça passe, je parle peu.
Je suis consciente que c'est nul... j'aimerais être plus enthousiaste. Même en faisant semblant. Mais ça me gonfle. Je m'ennuie, et je me laisse avec mollesse sombrer dans cet ennui. ça ne dure que quelques jours par an, souvent en deux ou trois fois...
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